Biométhane : un potentiel mondial de 1 000 milliards de mètres cubes

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Crédits : Agence internationale de l'énergie

Perspectives mondiales : le biométhane, une filière pleine de ressources

Le biométhane s'impose progressivement comme l'une des énergies les plus prometteuses de la transition écologique mondiale. Ce constat s'appuie sur les dernières analyses de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui révèlent un potentiel considérable encore largement inexploité. Depuis 2020, plus de 50 politiques publiques ont été mises en place dans le monde pour soutenir cette filière, qui affiche une croissance de 20 % par an ces dernières années. Pourtant, moins de 5 % du potentiel mondial est actuellement exploité. Jeanne-Marie Hays, analyste énergie à l'AIE et diplômée de l'École polytechnique, nous éclaire sur les enjeux et perspectives de cette filière d'avenir.

Un véritable potentiel encore inexploité

« Le biométhane a véritablement le vent en poupe en Europe », constate Jeanne-Marie Hays. 

Pour affirmer cela, l’analyste se base notamment sur un rapport publié en mai 2025 par l’AIE qui révèle le potentiel considérable du biométhane : environ 1 000 milliards de mètres cubes (d’équivalent gaz naturel) de biogaz pourraient être produits chaque année soit l’équivalent du double de la consommation actuelle de toute l’Europe en gaz naturel.

Cette ressource considérable repose sur l'exploitation de différents types de biomasse : déchets agricoles, résidus de l'industrie agroalimentaire ou encore biodéchets. Le constat de ce rapport est saisissant, car seulement moins de 5 % de ce potentiel est exploité. Cette sous-exploitation massive contraste avec certaines réussites locales européennes qui illustrent les atouts du biométhane

L'Europe, la locomotive mondiale du biométhane

Alors qu'elle ne concentre qu'une faible part du potentiel global, c'est bien l'Europe qui domine aujourd'hui la production mondiale de biométhane. 

« En Europe, on voit la demande de gaz naturel qui diminue grâce à des politiques publiques coordonnées qui visent à accélérer l'adoption des énergies renouvelables », explique Jeanne-Marie Hays. 

Cette dynamique s'inscrit dans le cadre du plan REPowerEU, lancé en 2022, qui fixe des objectifs ambitieux : « Atteindre 35 milliards de mètres cubes de biométhane à l'horizon 2030 ».

Malgré cette sous-exploitation, la croissance européenne du secteur est spectaculaire. « Ces dernières années, le taux de croissance avoisine les 20 % par an », souligne la chercheuse. Cette dynamique s'explique par une volonté politique forte de diversifier les approvisionnements énergétiques et de réduire la dépendance aux énergies fossiles importées.

Brésil, Chine, Inde : le biométhane se fait une place

La géographie mondiale du biométhane révèle pourtant une importante prise en main de pays non européens : 

« Cette ressource est concentrée à près de 80 % dans les économies émergentes et en développement, notamment au Brésil, en Chine et en Inde », précise l'experte de l'AIE.

L'exemple indien illustre parfaitement ce potentiel car il est deux fois supérieur à la consommation actuelle en gaz naturel. 

Certaines villes pionnières montrent déjà la voie explique Jeanne-Marie Hays : « La ville d’Indore a mis en place des politiques assez strictes pour le tri sanitaire. Ils ont installé des unités de production de biométhane qui servent maintenant à alimenter les bus de la ville ».

Cette répartition géographique du potentiel ouvre des perspectives considérables en termes de souveraineté énergétique. 

« Le biogaz est perçu comme un levier de sécurité énergétique parce que ce sont des ressources locales, c'est-à-dire qu'elles sont produites et consommées dans le même pays », explique l’analyste de l’AIE. 

Des atouts environnementaux indéniables qui nécessitent un cadre réglementaire strict

Au-delà de la sécurité énergétique, le biométhane est une énergie renouvelable qui présente des avantages environnementaux indéniables : 

« Le biométhane, c’est la même molécule que le gaz naturel » rappelle l'experte, ce qui permet son injection directe dans les infrastructures gazières existantes. Avec le biométhane, pour atteindre de bonnes performances environnementales et notamment en termes d’émissions, il est nécessaire d’appliquer les « meilleures pratiques existantes ».

Un contrôle strict de l’étanchéité des installations et donc d’éventuelles fuites de méthane est nécessaire : 

« Avec ces précautions, le taux d'émission sur le cycle de vie du biométhane est très inférieur à celui du gaz naturel », assure Jeanne-Marie Hays.

Une vigilance sur la provenance des intrants pour éviter toute concurrence avec la fonction première de l’agriculture, l’alimentation, doit s’appliquer. En France, la réglementation à ce sujet est stricte ;la part de cultures dédiées dans les méthaniseurs est limitée à 15 %.

Une approche « trois produits » économiquement vertueuse

L'un des aspects les plus novateurs de la filière biométhane réside dans sa capacité à générer des coproduits valorisables : le digestat et le CO2 biogénique.

Le digestat est un résidu de la digestion anaérobie, il constitut un véritable atout économique : « c'est une matière organique qui est riche en nutriments parce que les nutriments ne sont pas transformés en gaz ». 

Ce processus, qui reproduit un phénomène naturel, consiste à faire dégrader la matière organique par des micro-organismes en l'absence d'oxygène. Dans des digesteurs fermés, les bactéries transforment progressivement les déchets organiques en un mélange gazeux composé principalement de méthane et de dioxyde de carbone. Cette biotechnologie, observée naturellement dans les marécages ou l'estomac des ruminants, permet de valoriser les résidus agricoles, les déchets d'élevage et les déchets organiques urbains en énergie utilisable. 

Le CO2 biogénique, quant à lui, est le dioxyde de carbone naturellement produit lors de la transformation du biogaz en biométhane. Lorsqu’on purifie le biogaz pour obtenir du biométhane injectable dans les réseaux, il faut en effet séparer le méthane du CO2 qu'il contient. Plutôt que de rejeter ce CO2 dans l'atmosphère, il est possible de le capturer et de le valoriser. Ce CO2 « propre », issu de matières organiques et non de combustibles fossiles, peut alors être vendu à des industries qui en ont besoin pour leurs procédés ou être stocké de manière permanente. Cette valorisation crée une source de revenus supplémentaires pour les producteurs de biométhane, tout en évitant des émissions dans l'atmosphère.

Des technologies largement maitrisées

Contrairement aux idées reçues, la technologie de production de biométhane n'est pas un obstacle majeur à son déploiement mondial. 

« La digestion anaérobie, c'est une technologie qui est vraiment très mature, rassure Jeanne-Marie Hays, pour des populations qui n'ont pas accès à l'énergie, les infrastructures peuvent être extrêmement simples ». 

La complexité intervient davantage dans la purification du biogaz en biométhane injectable dans les réseaux. Cette étape nécessite des standards de pureté spécifiques, mais ces technologies sont largement maitrisées à travers le monde.

Les politiques publiques en première ligne

Le développement de la filière biométhane reste étroitement conditionné au soutien des pouvoirs publics. 

« Tous les pays dans lesquels nous constatons un développement de la filière de biométhane, ce sont ceux qui ont mis en place des politiques publiques incitatives », observe Jeanne-Marie Hays. 

Cette dépendance aux politiques publiques s'explique par le différentiel de coût avec le gaz naturel fossile. Le coût de production étant plus élevé que celui du gaz naturel fossile. Si les gouvernements imposaient une taxe sur la pollution carbone des énergies fossiles, cela rendrait le biométhane plus attractif économiquement. 

Avec un tel mécanisme, « jusqu'à 400 milliards de mètres cubes de biométhane pourraient devenir économiquement viables à l'échelle mondiale avec un prix du carbone à 70 dollars la tonne », estime la spécialiste.

L’intégration des co-bénéfices économiques, environnementaux et sociaux à la production d'énergie elle-même, pourrait changer la donne, car ils améliorent significativement la rentabilité et l'acceptabilité des projets de biométhane. 

Un avenir prometteur mais exigeant

Malgré les défis, l'avenir du biométhane s'annonce prometteur. La filière présente tous les atouts pour devenir un pilier de la transition énergétique mondiale : ressources abondantes, technologies matures, bénéfices environnementaux et économiques multiples. Cependant, le méthane est un gaz à effet de serre environ 25 fois plus puissant que le CO2. Si des fuites surviennent lors de la production, du stockage ou du transport du biométhane, les bénéfices environnementaux peuvent être annulés. L'experte insiste donc sur l'importance d'appliquer les meilleures pratiques existantes : systèmes fermés et contrôle strict des fuites.

Le succès de cette filière reposera sur la capacité des acteurs à coordonner leurs efforts, à développer des cadres réglementaires adaptés et à valoriser l'ensemble des co-bénéfices générés. Dans ce contexte, le biométhane pourrait bien devenir l'une des clés de voûte d'un système énergétique plus durable et plus résilient.

Portrait de Jeanne-Marie Hays.

Crédits : Agence internationale de l'énergie