Prix de l'électricité et du gaz : à quoi faut-il s'attendre pour 2024 ?

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Nicolas Goldberg.

Comment vont évoluer les coûts de l’électricité au regard notamment de la nouvelle régulation du nucléaire ?

N.G. : L’ancien et le nouveau fonctionnement de régulation de l’électricité nucléaire sont difficilement comparables. Avec la régulation actuelle, qui court jusqu’au 31 décembre 2025, le nucléaire est pour parti vendu à un prix régulé via l’ARENH à 42 €/MWh. Le volume vendu à ce prix peut changer d’une année sur l’autre en fonction de la progression de la concurrence, ce qui fait porter une incertitude aux consommateurs en fin d’année et les surexpose potentiellement au prix de marché. Avec le nouveau système, nous basculerons dans un monde où tout est vendu sur le marché et où l’Etat met en place un dispositif fiscal à partir de 78€/MWh pour rétribuer une partie des bénéfices du nucléaire au consommateur. Au-delà de 110 €/MWh, la quasi-totalité de ces bénéfices du nucléaire sont rendus au consommateur. Le bouclier tarifaire que nous avons connu pendant la crise deviendrait ainsi un « bouclier nucléaire » où nous sommes assurés que le prix de vente du nucléaire ne dépassera pas 110 €/MWh.

En théorie, ce système laisse le marché fonctionner librement jusqu’à un certain seuil. L’idée générale est en réalité d’inciter les fournisseurs à signer des contrats de long terme et des contrats de marché sur 5 ans. Difficile de dire si cela va fonctionner car on observe déjà une baisse des marchés à terme, ce qui pourrait pénaliser EDF s’il n’y a pas suffisamment de contrats long terme signés. Tout cela alors qu’EDF a besoin d’un prix de vente du nucléaire convenable pour réaliser ses investissements dans le nouveau programme EPR, l’éolien offshore ou encore terminer le Grand Carénage.

Quels sont les investissements nécessaires pour répondre aux besoins croissants d’électricité et quel en sera l’impact sur la facture des Français ?

N.G. : L’électricité représente aujourd’hui un quart de notre énergie. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la part de l’électricité pourrait représenter la moitié du mix énergétique français, laissant ainsi l’autre moitié du mix énergétique libre à d’autres énergies décarbonées. Cette croissance du besoin électrique serait principalement portée par la mobilité, la production d’hydrogène décarboné et l’électrification de certains procédés industriels.

Pour répondre à cette demande croissante et au déclassement progressif du parc nucléaire, des investissements considérables devront se faire dans de nouveaux moyens de production. Côté solaire, éolien terrestre et offshore, les prix sont plutôt compétitifs, autour de 80€/MWh, en comptant les coûts de raccordement. Il faudra toutefois arriver à équilibrer l’offre et la demande, ce qui justifie l’investissement dans des moyens de flexibilité, un nouveau programme nucléaire et un couplage sectoriel gaz-électricité. Sur ce dernier point, une publication conjointe de GRTgaz et RTE avait démontré l’intérêt d’un réseau d’hydrogène permettant de relier les lieux de stockage aux industries et ainsi flexibiliser sa production.

Dans cette électrification, il faut bien sûr penser aussi aux réseaux qui, selon RTE, concentreront la moitié des investissements dans le système électrique.

Les sommes à investir peuvent donner le vertige : Enedis parle de 96 Md€ à horizon 2040 et EDF de 52 Md€ sur 15 ans rien que pour 6 EPR. Cependant, il faut rappeler que c’est avant tout le manque d’investissement dans cette transition qui peut coûter cher, en maintenant la dépendance aux énergies fossiles. En 2023, sans bouclier tarifaire, le prix de l’électricité aurait pu doubler sur cette seule année en raison d’un marché de l’électricité sous capacitaire… De telles augmentations ne sont pas une fatalité, mais il va bien falloir consentir à des investissements.

Le prix du gaz restera-t-il compétitif ou connaitra-t-il des augmentations du même ordre à moyen et long terme ?

N.G. : Le prix du gaz naturel d’avant crise tournait autour de 20 €/MWh. Aujourd’hui, il est en Europe entre 40 et 50 €/MWh compte tenu du basculement de notre approvisionnement vers du gaz naturel liquéfié (GNL) pour les raisons que nous connaissons. D’ici 2050, si nous voulons atteindre la neutralité carbone, le gaz naturel devra laisser sa place à de nouveaux gaz dont le besoin aura diminué. Il y a en revanche les questions autour du gisement et du coût.

Sur le gisement, celui de biométhane agricole n’est estimé qu’à 130 TWh à horizon 2050, alors qu’il faudra couvrir une consommation d’environ 300 TWh dans les hypothèses basses et bien plus dans d’autres scénarios. Il sera donc nécessaire de faire émerger et passer à l’échelle de nouveaux modes de production de gaz verts, notamment par la création d’un grand système d’économie circulaire permettant de traiter des déchets non plus en les incinérant mais en les utilisant comme intrants pour la production de nouveaux gaz.

Sur les coûts, celui du biométhane agricole est estimé entre 90 €/MWh et 120 €/MWh selon les projets. Pour les biogaz de deuxième génération, les coûts sont encore difficiles à estimer, mais les premiers projets de pyrogazéification sont estimés entre 120 €/MWh et 150 €/MWh. Cela représente une sacrée différence par rapport au prix du gaz naturel que nous avions connu à 20 €/MWh/. Il faut faire le deuil de cette époque, que ce soit pour des questions géopolitiques ou climatiques. Comme pour l’électricité, ne pas faire les investissements nous expose à d’importants risques d’approvisionnement et de variabilité des coûts selon les tensions géopolitiques du moment.

Concernant le gaz, de grands investissements sont nécessaires pour faire émerger de nouvelles technologies de production de gaz renouvelable. Mais il faut aussi rappeler que, comme pour l’électricité, les bénéfices additionnels d’une production d’énergie locale peuvent en valoir la chandelle pour améliorer notre sécurité d’approvisionnement, valoriser nos déchets et encourager la transition agro écologique. Par ailleurs, le prix d’une facture est la résultante d’un coût unitaire multiplié par un volume de consommation. Si le coût unitaire augmente, c’est sur le volume qu’il faut pouvoir jouer grâce à la sobriété et l’efficacité. Et là sera la vraie clé de la transition : organiser nos sociétés pour consommer intelligemment notre énergie.