Entre transition énergétique, contraintes budgétaires et instabilité règlementaire, l’énergie devient un véritable casse-tête pour les collectivités. Propriétaires des réseaux, les Autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE) se trouvent ainsi au cœur d'arbitrages stratégiques dont dépend l'avenir énergétique du pays. Jean-Luc Dupont, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), président du Syndicat intercommunal d'énergie d'Indre-et-Loire et maire de Chinon, a accepté de nous éclairer sur l'ampleur des défis auxquels font face les collectivités territoriales dans la gestion de leur patrimoine énergétique.
L’avenir énergétique de la France se joue dans les territoires
Les AODE sont des collectivités, regroupées entre elles, qui possèdent les réseaux de distribution d'électricité, de gaz, de chaleur et de froid. Elles occupent une place centrale dans la mise en œuvre des politiques locales sur l’énergie et le climat. Elles définissent et mettent en œuvre des outils de planification et d’aménagement du territoire et investissent massivement dans les services publics locaux pour la transition énergétique. Les réseaux d'énergie sont au cœur de cette transition.
Au service de plus de 62 millions d’habitants, les infrastructures de distribution d’énergie représentent un actif considérable. En France, 40 % des besoins de chaleur sont couverts par le gaz ; plus de 11 millions de clients sont raccordés aux réseaux gaziers français.
Les AODE sont en première ligne pour adapter les réseaux d’énergie à la transition écologique : financer, moderniser, rendre les réseaux plus flexibles et résilients, partout sur le territoire.
« Lorsque nous avons déjà financé un réseau de distribution d’énergie sur un territoire, l'idée ne devrait pas être d'en créer un autre, il faut continuer de l’alimenter et ne pas le concurrencer avec un nouveau réseau en parallèle », explique Jean-Luc Dupont. Autrement dit, l’optimisation de l’existant valorise le patrimoine et devrait constituer le fil conducteur de la vision territoriale sur ces sujets.
Des défis majeurs pour adapter les réseaux
Ces infrastructures doivent pourtant s’adapter pour répondre aux enjeux de la transition énergétique. Des adaptations qui nécessitent des dépenses qui se chiffrent pour les réseaux électriques à des centaines de milliards d’euros d'investissements d'ici à 2050 et à plus de dix milliards d'euros pour le gaz. Concernant les réseaux de distribution de gaz, Jean-Luc Dupont précise : « Il faut pérenniser ce patrimoine en le verdissant plutôt que de risquer de perdre cet actif déjà amorti et précieux ».
Au-delà des contraintes financières s'ajoute une instabilité réglementaire qui paralyse l'action locale. Le photovoltaïque en est l’exemple criant : après avoir encouragé les collectivités à développer des projets solaires à travers la loi d'accélération des énergies renouvelables en 2024, l'État a réduit de 35 % le tarif d'achat dans la loi de finances 2025.
« Les collectivités se retrouvent avec des projets qui ne peuvent plus aboutir et une filière du photovoltaïque en crise avec des pertes d’emplois à la clé », explique le président de la FNCCR.
Les moyens ne suivent pas suffisamment les ambitions affichées. Ainsi, le financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale (FACÉ), dispositif national visant à soutenir l’électrification des territoires ruraux, est quant à lui resté bloqué à 360 millions d'euros par an de 2012 à 2024. Il n'a augmenté que de 5 millions en 2025, alors que les coûts de construction ont pour leur part progressé de 40 %.
Des investissements optimisés par les collectivités
Dans un contexte budgétaire tendu, pour sécuriser les projets et renforcer leur acceptabilité locale, les collectivités misent sur la coordination, l’optimisation et la flexibilité des réseaux mais aussi sur les circuits courts. « Les circuits courts constituent une alternative aux dispositifs de soutien de l'Etat dans un contexte de stop and go permanent qui ne facilite pas les investissements », note le président de la FNCCR.
Les contrats de concession disposent aussi d’annexes de transition écologique qui favorisent le développement des initiatives locales comme le raccordement de stations BioGNV pour alimenter les flottes de bus et l’injection de biométhane dans les réseaux.
Des solutions ancrées dans chaque territoire
Les collectivités disposent par ailleurs de leviers concrets.
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Le premier consiste à encourager un mix énergétique équilibré, adapté aux spécificités locales. « La France est composée de territoires très différents, explique Jean-Luc Dupont. La réalité de la Lozère n'est pas la même que celle de l'Île-de-France, par exemple ». Cette approche pragmatique implique de ne pas mettre en concurrence les énergies entre elles, ni les réseaux. L'enjeu est de regarder ce qui existe déjà sur le territoire : réseaux, ressources locales, besoins et d’en construire si besoin de nouveaux à partir de là. « L'optimisation passe par la complémentarité des énergies, pas par leur substitution systématique », ajoute Jean-Luc Dupont.
Toutes les énergies renouvelables et bas-carbone sont essentielles pour atteindre la neutralité carbone. Avec un objectif de 100 % de gaz renouvelables en 2050, les gaz verts seront un pilier de la transition énergétique territoriale : ils sécurisent l’approvisionnement, décarbonent les usages et valorisent les ressources locales.
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Les documents d'urbanisme constituent un autre levier d'optimisation : « Lors de l'aménagement d'un territoire, il est essentiel de regarder ce qui est disponible dans le Plan local d'urbanisme (PLU) afin de raccorder les réseaux aux bonnes énergies », plaide le président de la FNCCR. L'idée est d'inscrire des prescriptions énergétiques pour orienter tel quartier vers le gaz, tel autre vers l'électricité ou les réseaux de chaleur, en fonction des infrastructures existantes. Cela évite que des choix individuels non coordonnés ne saturent les réseaux.
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Enfin, l'efficacité énergétique offre également des marges de manœuvre importantes. Des gestes simples du quotidien peuvent générer des économies substantielles : optimiser les températures dans les bâtiments publics, installer des sondes de mesure précises, fermer automatiquement les portes dans les écoles et les gymnases et sensibiliser les usagers à leur consommation. Sur son territoire, le maire de Chinon témoigne de résultats spectaculaires : « En deux ans, nous avons baissé les consommations de 47 % sur le gaz et de 45 % sur l'électricité ». L'implication des usagers via des systèmes financiers incitatifs semblent fonctionner.
Les réseaux d'énergie constituent bien plus qu'un simple outil technique : ils représentent un patrimoine dont la gestion déterminera la capacité des territoires à réussir leur transition écologique.
Crédits : FNCCR
Les élus locaux sont en première ligne pour développer les énergies renouvelables, moderniser les réseaux et garantir leur résilience.
Vers une gouvernance locale de l'énergie ?
En filigrane de ces enjeux techniques et financiers se dessine une question plus fondamentale : qui doit décider de l'avenir énergétique des territoires ? Pour Jean-Luc Dupont, la réponse est claire : « Il faut reconnaître le rôle des autorités organisatrices de distribution d'énergie en tant que fer de lance de la transition énergétique sur les territoires ». Les AODE occupent en effet une position unique dans l'écosystème énergétique.
Cette vision territoriale implique un engagement collectif, celui que les collectivités espèrent voir émerger : simplifier, financer, soutenir, verdir et agir. Un message qui rappelle que l'avenir énergétique de la France se construit dans les territoires, au plus près des citoyens et de leurs besoins réels.